L’Accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité : Une oasis d’espoir ?

Par Milcar Jeff Dorce et Van Anh Ly


1. Introduction

Le 15 novembre 2024, la République du Costa Rica, l’Islande, la Nouvelle-Zélande et la Confédération suisse ont signé l’Accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité (en anglais « Agreement on Climate Change, Trade and Sustainability », ACCTS). Cet accord plurilatéral hybride a pour objectif « de promouvoir la contribution du commerce international à la lutte contre le changement climatique et d’autres problèmes environnementaux graves, y compris le recul de la biodiversité et la pollution, et de favoriser ainsi le développement durable » (article 1.1). L’idée maîtresse est de soutenir la transition vers des économies à faibles émissions, résilientes face au changement climatique et durables. Dans un contexte où la conclusion d’accords hybrides contraignants sur le commerce et l’environnement devient un impératif catégorique, l’ACCTS surgit comme une oasis d’espoir. L’Accord semble être novateur en ce qu’il propose de discipliner et d’éliminer les subventions aux énergies fossiles néfastes.

2. Structure de l’ACCTS

L’ACCTS comprend 8 chapitres et 94 articles régissant trois grands domaines : le commerce des biens et services environnementaux, les subventions aux énergies fossiles et l’étiquetage écologique. Il établit également un cadre institutionnel, des obligations en matière de transparence et de coopération, ainsi qu’un mécanisme obligatoire de règlement des différends. En outre, 11 annexes précisent les engagements des États membres.

Chapitre 1Dispositions initiales et générales11 articles
Chapitre 2Commerce des biens environnementaux11 articles
   Annexe IObjectifs environnementaux – Commerce des biens
environnementaux
   Annexe IIListe des biens environnementaux
Chapitre 3Commerce des services environnementaux16 articles
   Annexe IIIObjectifs environnementaux – Commerce des services
environnementaux
   Annexe IVListe des services environnementaux ou liés à
l’environnement
   Annexe VListes d’engagements spécifiques (4 appendices)
   Annexe VIServices financier
Chapitre 4Subventions aux énergies fossiles11 articles
   Annexe VIIListe des biens considérés comme des énergies fossiles
   Annexe VIIIListe des produits énergétiques considérés comme des
énergies fossiles
   Annexe IXListe des subventions aux énergies fossiles prohibées
   Annexe XListes des engagements – Subventions aux énergies
fossiles (4 appendices)
Chapitre 5Éco-étiquetage7 articles
Chapitre 6Dispositions institutionnelles9 articles
   Annexe XIArrangements institutionnels propres à une partie (Costa Rica)
Chapitre 7Règlement des différends20 articles
Chapitre 8Dispositions finales9 articles

3. Libéralisation du commerce des biens et services environnementaux

L’objectif majeur de l’ACCTS réside dans la libéralisation du commerce des biens et services environnementaux (chapitres 2 et 3). Cette action vise à renforcer les chaînes de création de valeur pour les biens et services respectueux de l’environnement. L’Annexe II de l’ACCTS contient une liste de 316 biens environnementaux. Cette liste est, dans une large mesure, plus ambitieuse que celles proposées par le Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC, 104 codes SH) et par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 132 codes SH), qui ont contribué à encadrer les négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la libéralisation du commerce des biens et services environnementaux. 

Par ailleurs, les États signataires conviennent d’éliminer les droits de douane à l’importation sur tous les biens environnementaux figurant dans ladite annexe et de ne pas instaurer de nouveaux droits de douane à l’importation sur ces biens (chapitre 2, article 2.5). L’Annexe IV contient une liste de 114 services environnementaux ou liés à l’environnement. L’ACCTS engage les États membres à réduire les obstacles frappant ces services.

4. Réglementation des subventions aux énergies fossiles

L’aspect le plus novateur de l’ACCTS concerne la réglementation des subventions aux énergies fossiles, comme le charbon, le gaz naturel ou le pétrole. En son chapitre 4, l’Accord consacre le caractère néfaste des subventions aux énergies fossiles. L’ACCTS est le premier accord international à proposer une définition des « subventions aux énergies fossiles néfastes » (Annexe IX) et à les interdire (article 4.5). Sont ainsi prohibées les « subventions aux énergies fossiles pour la production et la consommation de houilles et d’autres énergies fossiles classées sous les positions 2701 à 2704, 2708 et 2714 du SH […] » et les « subventions aux énergies fossiles pour l’exploration, l’extraction, le raffinage, le traitement, la fabrication, le stockage, le transport, le transport par pipeline, la distribution, le négoce ou la commercialisation de pétrole et de gaz classés sous les positions 2709 à 2711 du SH […] » (Annexe IX). Cette action s’aligne sur l’objectif énoncé à l’article 4.1, qui est « d’atténuer leur effet négatif sur l’environnement et de contribuer aux efforts mondiaux visant à réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre résultant de la production et de la consommation des énergies fossiles ».

La nouveauté se trouve plus précisément dans l’introduction de la « Mesure standardisée du taux de carbone » (MSTC) pour soutenir et suivre les engagements relatifs aux subventions aux combustibles fossiles. La MSTC est définie comme « le prix total net applicable aux émissions de CO2 dues à l’utilisation d’énergies fossiles résultant d’instruments politiques qui augmentent ou réduisent le prix du CO2, y compris les taxes sur le carbone et sur l’énergie » (article 4.3, §3).

Conformément à l’article 4.4, les pays peuvent choisir de participer au mécanisme MSTC, à condition de notifier leurs engagements en la matière lors de la ratification de l’Accord ou de leur adhésion. Les engagements pris dans le cadre du MSTC doivent être cohérents avec les objectifs climatiques nationaux, y compris ceux définis dans l’Accord de Paris. Pour l’instant, parmi les 4 pays membres, seules la Suisse et l’Islande se sont engagées à respecter des valeurs de MSTC (Annexe X). Les États sont encouragés à augmenter progressivement le niveau de leurs engagements MSTC, en fonction de l’évolution de leurs politiques climatiques. Ce mécanisme flexible leur permet de renforcer leurs contributions et de réduire ainsi l’impact des combustibles fossiles sur le changement climatique mondial. L’avantage principal du MSTC réside dans sa capacité à standardiser et à uniformiser la détermination des coûts carbone entre les pays. Cela facilitera l’évaluation de la mise en œuvre des engagements en matière de subventions. 

5. Lignes directrices applicables aux programmes d’éco-étiquetage volontaires

L’ACCTS prévoit également des lignes directrices applicables aux programmes d’éco-étiquetage volontaires de biens et de services (article 5.4). Ces lignes qui ne sont pas contraignantes, visent à promouvoir un commerce plus transparent et plus durable en permettant aux acteurs qui définissent ou utilisent des écolabels d’éviter les informations erronées et les obstacles inutiles au commerce. Dans une perspective de haute qualité et haute intégrité, un écolabel devrait, entre autres, « fournir des renseignements véridiques, non équivoques, fiables, comparables, étayés et vérifiables sur les caractéristiques environnementales des biens et des services » (article 5.4, 1-a). Les écolabels visent également à permettre aux consommateurs de distinguer les biens et les services préférables du point de vue environnemental, et aux producteurs de mettre en avant la valeur ajoutée écologique de leurs produits.

6. Règlement des différends

L’ACCTS renferme enfin des clauses de règlement des différends entre les parties pour éviter ou régler leurs différends quant à l’interprétation ou à l’application dudit Accord (chapitre 7). Ce chapitre prévoit des mécanismes tels que les bons offices, la conciliation, la médiation, les consultations et l’arbitrage. La constitution d’un tribunal arbitral et la poursuite du règlement du différend devant ce tribunal n’empêchent pas les parties au différend de continuer les bons offices, la conciliation et la médiation, si elles en conviennent (article 7.5). Les trois arbitres qui composent le tribunal sont choisis de manière ad hoc par les parties en litige en fonction de leurs compétences (en droit, commerce international et questions environnementales), ainsi que de leur objectivité, de leur fiabilité et de leur discernement (article 7.9). Il est également précisé que la diversité est prise en compte dans la désignation des arbitres. Le rapport final du tribunal arbitral rendu dans les 90 jours qui suivent la date de constitution du tribunal arbitral est contraignant pour les parties. Bien que les membres d’un accord plurilatéral puissent choisir d’inclure le mécanisme de règlement des différends de l’OMC, l’approche adoptée par l’ACCTS se révèle efficace et rapide face au blocage actuel du mécanisme de l’OMC au niveau de l’Organe d’appel. La clause d’exclusivité relative au choix du forum permet d’éviter tout conflit de juridictions.

  L’ACCTS prévoit une solution innovante en cas de non-application du rapport final du tribunal arbitral par la partie perdante (article 7.18). Les parties devraient convenir d’une compensation mutuellement acceptable. Cette compensation volontaire a pour but de promouvoir la contribution du commerce international à la lutte contre le changement climatique et d’autres problèmes environnementaux graves. Les formes possibles de compensation peuvent être par exemple une libéralisation supplémentaire pour les biens ou services environnementaux, ou une réduction supplémentaire des subventions pour les énergies fossiles. Si aucune entente n’est trouvée sur la compensation, d’autres mesures institutionnelles et de divulgation sont prévues. En ce sens, la Commission mixte dont le rôle est de surveiller, examiner et superviser la mise en œuvre, le fonctionnement général et le développement de l’Accord, devrait également élaborer d’autres mesures.

7. Un accord ouvert

Aux termes de l’article 8.6, l’ACCTS « est ouvert aux demandes d’adhésion de tout Membre de l’OMC ». Le fait que l’ACCTS encourage les pays membres développés à apporter leur soutien technique non seulement aux autres pays membres de l’Accord mais aussi aux pays non membres en vue de renforcer leurs capacités à réformer leurs subventions aux énergies fossiles, peut être intéressant pour faciliter notamment l’adhésion des pays en développement. De plus, l’ACCTS permet de reporter l’application des engagements de suppression des droits de douane sur les biens environnementaux pour une durée maximale de 12 ans à compter de l’entrée en vigueur de l’Accord, offrant ainsi aux membres un délai supplémentaire pour s’adapter. Pour les nouveaux membres, le report peut s’appliquer à un maximum de 8 % des lignes tarifaires au cours des six premières années, avant de diminuer à 4 % par la suite, leur permettant ainsi de se préparer en termes de capacité de production et d’utilisation de biens environnementaux (Article 2.7).

 8. Conclusion

L’ACCTS s’avère novateur tant par ses efforts de facilitation et d’incitation à la coopération que par sa volonté de s’affronter au domaine très sensible des subventions aux énergies fossiles. Du fait de son caractère incitatif, l’Accord peut attirer de nouveaux membres en vue de contribuer à faire progresser la réforme des subventions aux énergies fossiles au sein de l’OMC et au sein des processus, des organisations et des organismes comme le Programme des Nations Unies pour l’environnement, la CCNUCC, l’Accord de Paris et l’Agenda 2030 pour le développement durable. L’ACCTS rappelle l’urgence de définir des moyens plus contraignants pour atteindre des objectifs environnementaux. S’il est indéniable que cet Accord propose des pistes novatrices, la question demeure ouverte de savoir si sa mise en œuvre sera efficace.

Références

Accord sur le changement climatique, le commerce et la durabilité, 15 novembre 2024, en ligne :  <https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/90526.pdf>

Joint Statement: Signature of the Agreement on Climate Change, Trade and Sustainability, 16 novembre 2024, en ligne : <https://www.mfat.govt.nz/en/media-and-resources/joint-statement-signature-of-the-agreement-on-climate-change-trade-and-sustainability>

Déclaration de l’APEC 2012, Vladivostok, 8-9/9/2012, en ligne : APEC <https://www.apec.org/meeting-papers/leaders-declarations/2012/2012_aelm>

Jess Anderson, “Bringing together the Trade and Climate Change Agendas: An Analysis of the Scope of the Agreement on Climate Change, Trade and Sustainability” (2020) Victoria University of Wellington Research Paper Laws 554.

Mark Wu “The WTO Environmental Goods Agreement: from multilateralism
to plurilateralism” dans Panagiotis Delimatsis, dir, Research Handbook on Climate Change and Trade Law, Northampton (MA), Edward Elgar, 2016, 279.

Publié le